Laissez-moi vous raconter une histoire qui date d’il y a dix ans. Je venais d’avoir 50 ans, et disons que je n’étais pas dans la période la plus heureuse de ma vie familiale. J’avais beaucoup à gérer, et j’en étais aux premiers signaux qu’il devenait important de me donner du temps de répit et de la place dans ma propre vie de femme solo.
Je marchais déjà régulièrement, et j’avais de plus en plus envie d’augmenter la cadence. Mais à ce niveau aussi, je diminuais ma valeur…jamais je ne serais une « coureuse ». Malgré ce préjugé envers moi-même (un peu malsain, entendons-nous… mais je l’ignorais encore), j’ai commencé à avoir envie de me challenger. Je dois remercier un coureur qui m’a doublée un matin pendant une de mes marches sur une piste cyclable de Boucherville, et qui m’a dit au passage « wow, vous avez un bon pas! » Je lui ai rapidement répondu « j’espère courir un jour! !... et il a dit « c’est certain que vous allez courir bientôt, lâchez-pas! ». Il avait raison. Cet homme ne sait pas tout le courage qu’il m’a donné par ses simples mots…
J’ai suivi par moi-même un programme de course en ligne pour débutant, en introduisant progressivement des intervalles de course à travers ma marche. Ça a fonctionné. Mes sorties me faisaient sentir de plus en plus fière, et en quelques semaines j’ai été en mesure de courir 5 kilomètres. Je me trouvais vraiment hot pour une quinquagénaire. Mon corps a changé, et j’ai commencé à me plaire. Il faut spécifier ici que j’ai toujours traîné un surplus de poids (voir mon texte "À 20 lbs du bonheur"), et tout à coup, j’aimais ce que je voyais dans le miroir. Malgré quelques petites rondeurs persistantes, je me trouvais belle et sexy… assez pour retrouver la confiance qu’il me manquait pour me joindre à un groupe de course sur Facebook.
J’ai choisi un groupe de coureurs célibataires de la rive-sud, histoire de faire d’une pierre deux coups. Ma galère sur les réseaux de rencontres ne donnait pas les résultats espérés, donc j’ai pensé que j’aurais peut-être plus de chance avec un groupe de personnes actives comme moi.
Je m’engageais dès lors dans des échanges auxquels je n’étais pas préparée. Mes « performances » étaient très loin de toutes celles qui étaient partagées par les membres du groupe sur cette page. Le rythme qualifié de « tortue » par la plupart était ce que je pouvais faire de mieux. On repassera pour l’estime perso... de toute évidence, celle-ci n’avait pas encore retrouvé sa place sur mon chemin.
Je me suis quand même botté le derrière en participant à deux sorties de course avec le groupe… j’étais effectivement la dernière qui trainait, et je suis arrivée après tout le monde au resto ensuite. Pas facile pour l’égo.
J’ai donc choisi l’ironie en poursuivant mes échanges avec certaines personnes, car je persistais à croire que pourrais rencontrer des gens intéressants par le biais de cette activité, que je continuais par ailleurs à pratiquer avec plaisir, mais en solo.
J’ai eu assez d’enthousiasme pour aller à un ou deux 5 @ 7 du groupe, mais chaque fois je n’ai éprouvé aucun plaisir, et plutôt une gêne inconfortable en constatant que peu me reliait à ces gens. Je me forçais à m’incorporer à des conversations superficielles qui ne m’intéressaient pas du tout, dans le but de capter l’attention.
Ça ne fonctionnait pas, mais je ne perdais pas espoir.
Mon ultime tentative d'intégration s’est présentée lors du party de Noël du groupe. J’avais pris grand soin de me trouver une tenue appropriée, et je me suis soigneusement préparée, maquillée et coiffée à mon goût. Je me sentais belle et d’attaque pour la soirée. Vraiment et sincèrement.
En enfilant mon manteau, j’ai fait une maille dans mon bas de nylon. Ça partait mal. Trente minutes et un détour par la pharmacie plus tard, je me mettais en route. Quand je suis arrivée sur place, le stationnement était plein, tout le monde était donc déjà arrivé… ce qui veut dire que je devais faire mon entrée seule, dans une salle bondée de gens essaimés par petits groupes et déjà embarqués dans l’ambiance festive.
Vous ne pouvez pas imaginer ce que cela représentait comme effort pour moi. J’ai bien failli ne pas entrer. Quand on parle de« sortir de sa zone de confort », j’avais le nez dedans, solidement. Heureusement, une fille dont j’étais plus proche m’a interpellée et on a fait le tour de la salle ensemble, pour trouver des célibataires intéressants. Car évidemment, c’était le but…
On a jasé avec quelques personnes, mais j’étais déjà dans l’inconfort le plus total. Malgré tout le trouble que je m’étais donné pour me sentir belle et « digne d’intérêt », il m’était impossible de ne pas me comparer désavantageusement à toutes les coureuses présentes, grandes et minces dans leurs chics petites robes noires. Tout à coup, la dégaine et l’assurance dont je croyais être remplie s’est effritée. Je ne me sentais ni à la hauteur, ni à ma place.
Bien sûr il y avait de l’animation, comme dans tout bon party de Noël qui se respecte. Pendant le souper, il y avait des jeux, on devait chanter, tout le monde embarquait, évidemment ! J’avais zéro fun. Je n’ai jamais été en mesure de surmonter mon immense inconfort. J’ai quitté avant la fin du souper, prétextant un malaise gastrique. J’étais de retour chez moi à 21h30.
Je suis certaine que personne ne m’a cherchée.
En y pensant, dix ans plus tard, je crois bien que c’est ce soir-là la dernière fois où je me suis forcée à être quelqu’un que je n’étais pas, juste pour plaire aux autres. J’ai compris qu’il ne me servait à rien de faire semblant, et encore moins de me mettre dans des situations qui ne me plaisent pas, dans le but unique d'être appréciée et acceptée par la « gang ».
J’ai commencé à intégrer l’idée que je devais plutôt me permettre d’être moi-même, en rencontrant des gens dans des conditions qui correspondraient mieux à qui je suis vraiment et à travers lesquelles je pourrais révéler l’intensité et la passion qui me définissaient si bien, déjà.
J’ai lâché le groupe de course, et j’ai rembarqué, à mon rythme, sur ma route à moi.